Hounzin, la « céramique de sang » : Étude ethno-biologique d’une céramique rituelle (Palais Royaux d’Abomey – Bénin)

Hounzin, “blood ceramics”: ethno-biological study of ritual ceramics from the Royal Palace of Abomey, Benin

RESUME /ABSTRACT

L’objectif est d’approcher un hounzin de manière pluridisciplinaire. Elle a été collectée in situ lors d’une mission de terrain en décembre 2022 au sein des Palais Royaux et ramenée en laboratoire afin d’effectuer une analyse complète. La particularité de cette céramique est qu’elle est purifiée au moyen d’un sacrifice de sang issu de l’immolation de plusieurs animaux et est réutilisable.

The objective is to approach a Hounzin in a multidisciplinary way. It was collected in situ during a field mission in December 2022 within the Royal Palaces and brought back to the laboratory in order to carry out a complete analysis. The particularity of this ceramic is that it is adapted by means of a blood sacrifice from the immolation of several animals and is reusable.

Introduction

Cet article s’attache à étudier une céramique rituelle récemment en fonction, collectée dans la cour du palais du roi Glèlè, ancien roi d’Abomey qui régna de 1858 à 1889. Les Palais Royaux d’Abomey recouvrent actuellement une superficie de quatre hectares et sont classés au patrimoine mondial de l’UNESCO. A son apogée, ils recouvraient une superficie de quarante-quatre hectares. La destruction d’une grande partie de l’édifice royal est due au roi Béhanzin. Ce dernier ne souhaita pas voir ses palais tomber sous la coupe des Français, il décida de pratiquer une politique de terre brûlée. Son jeune frère dénommé Agoligan réussi à sauver in extremis les palais des rois et tombeaux des rois Ghézo et Glélé. Cette céramique provient donc de la partie dédiée au roi Glèlè. La particularité de ces palais est que bien qu’ils aient été patrimonialisés, ils n’en demeurent pas moins un lieu où les mânes royaux sont toujours honorés, mais fait également office de gardien des traditions en abritant régulièrement des cérémonies religieuses et royales.

Si nous revenons à la céramique, en Fongbè, elle est appelée Hounzin, qui signifie littéralement poterie (zin) de sang (houn). Par le découpage du mot, la fonction principale ressort indéniablement. Cette poterie est un plat préparatoire, utilisé pour y mélanger les différentes offrandes alimentaires. Ces libations sont, par la suite, disposées sur la tombe du roi défunt, mais également auprès des divinités principales : Sakpata (divinité de la terre), Nessouhè (ou Dehounssou, rattachée à Mami Wata, divinité aquatique), Hévioso (divinité associée au feu à la foudre et à la justice – divinité du ciel), Dan (divinité serpent qui représente le principe vital de l’Homme) et Legba (divinité protectrice et messager). La particularité du Hounzin collectée au sein des palais est qu’il contient encore des restes de préparations libatoires.

Plusieurs questions sont alors posées : À quel moment du cycle religieux intervient-il, Quel est son rôle ? que contient cette céramique ? Est-ce uniquement une céramique royale ? Nous avons choisi de répondre à ces problématiques en adoptant un axe pluridisciplinaire notamment par une analyse ethno-céramologique et biologique couple à des enquêtes de terrain.

Analyse céramologique

La céramique est de forme ouverte à fond arrondi avec un col rentrant et une lèvre arrondie (Fig.1 a. ). Elle mesure 10 cm de hauteur, 18,5 cm de diamètre pour une épaisseur de 1 cm. La face externe est entièrement recouverte d’un décor à impression. Il semble avoir été réalisé à l’aide d’une molette, orientée dans plusieurs sens (Fig.1 b.). La face interne comporte des ondulations caractéristiques d’un montage aux colombins (Fig.2). Ces techniques de façonnage et d’ornementation sont fréquemment rencontrées en Afrique de l’Ouest et de nombreuses études y sont consacrées (Cf. [1], [2] , [3] et [4]).

Fig.1 : a. Vue générale du Hounzin
Fig.1 : a. Vue générale du Hounzin
Fig.1 b. Décor à impression
Fig.1 b. Décor à impression

Etude ethnologique

Ce hounzin est utilisée au cours d’une cérémonie honorant le défunt roi Glèlè, mais également plusieurs divinités vòdũn dites « principales ». Bien que ce cycle rituel soit à destination du roi, c’est tout un panthéon de divinité qui est honoré pour accompagner l’esprit du roi défunt devenu vòdũn royaux.

Honorer simultanément des vòdũn et un roi défunt répond à un protocole strict et codifié ; au préalable un cycle de purification est nécessaire pour s’assurer de la pureté de la céramique. Fidèle à son nom, elle est purifiée à l’aide d’un sacrifice de sang ; le prêtre procède à l’exécution d’un cabri, d’un poulet, d’un coq et d’un canard. Le sang de ces derniers est versé dans la céramique afin d’être mêlé à de l’alcool et de l’huile de palme. Le tout sera rythmé par la profération de formules incantatoires. Une fois de cycle de purification achevé, la préparation des offrandes alimentaires peut débuter.

Au commencement, on procède à l’immolation d’un bœuf, d’un cabri, d’un mouton et d’un poulet. Leurs sangs sont versés dans la céramique purifiée, puis mélangés à de l’huile de palme, du sodabi et des haricots rouges préparés. Une fois l’ensemble des ingrédients amalgamé, une princesse (ou un prêtre) doit veiller à la bonne préparation des libations en goûtant. L’objectif de ces offrandes est de contenter le monde divin pour s’attirer leurs bonnes grâces, il est donc nécessaire que la nourriture soit irréprochable au risque de s’attirer leurs rages.

La préparation libatoire est prélevée directement à la main dans le Hounzin par la tanyinon (prêtresse) pour les libations royales et par le ya (prêtresse), assistée par le baba (prêtre de certaines divinités – généralement dédié à Sakpata) pour les autres divinités. Sur la paroi interne de la céramique se trouvent des traces de doigts, mais également des traces de coulures sur la partie externe, témoignant d’un prélevé (Fig.3 a. et b.)

Fig.3 : Restes de libation (a. Traces de doigts- face interne)
Fig.3 a : Restes de libation (a. Traces de doigts- face interne)
Fig.3 b : Restes de libation (Coulures – face externe)
Fig.3 b : Restes de libation (Coulures – face externe)

La préparation est versée sur les àsɛɛn royaux (il s’agit de sorte de parasol en métal sur lesquels on dépose les libations pour les mânes– Fig.4). Pour les divinités vòdũn, les offrandes sont disposées dans des vòduzin (signifie littéralement « céramique à l’intention des vòdũn » – Fig.5 a. à c.). Une fois les offrandes effectuées, on s’assure que les ancêtres les acceptent favorablement. Si ce n’est pas le cas, il est nécessaire de chercher comment les satisfaire.

Cette céramique religieuse comporte une particularité, elle peut être réutilisée plusieurs fois (comme le hounkplezen), mais doit systématiquement être assaini au moyen d’un cycle purificatoire.

Fig.4 : Case à àsɛɛn (Sahè- Agbanizoun, Bénin- V. Tourreil)
Fig.4 : Case à àsɛɛn (Sahè- Agbanizoun, Bénin- V. Tourreil)
Fig.5 a : Exemple de vòduzin (MNHN-E-2009.19.1) Fond Chauvin – MNHN Paris
Fig.5 a : Exemple de vòduzin (MNHN-E-2009.19.1) Fond Chauvin – MNHN Paris
Fig.5 b : Exemple de vòduzin (MNHN-E-2009.19.24 (1,2), Fond Chauvin – MNHN Paris
Fig.5 b : Exemple de vòduzin (MNHN-E-2009.19.24 (1,2), Fond Chauvin – MNHN Paris
Fig.5 c : Exemple de vòduzin (c. MNHN-E-2009.19.5 (1,2), Fond Chauvin – MNHN Paris
Fig.5 c : Exemple de vòduzin (c. MNHN-E-2009.19.5 (1,2), Fond Chauvin – MNHN Paris

Hounzin, céramique royale ?

Le hounzin n’est pas une céramique propre à la royauté. Il est utilisé pour l’ensemble des temples vòdũn qui voit l’implication de sang dans le cycle rituel. Lorsqu’on sollicite une divinité, il est nécessaire de déposer de l’eau dans la céramique, puis de recueillir le sang des divers animaux tués. Une fois la cérémonie terminée, la céramique est retournée et laissée dans le temple pour être réutilisée.

Un autre type d’utilisation concernant cette céramique est possible. Au sein d’un hounzin, il est possible de préparer une tisane de protection ou de chance avec laquelle l’officiant doit se laver à un carrefour. Il est également possible d’effectuer une tisane pour les divinités afin de solliciter leur aide. Dans ce cas, la tisane est préparée et déposée sur le portail d’entrée de la chambre du vòdũn. Le demandeur doit se laver les mains avec la préparation avant d’effectuer les offrandes et doléances. Sur la Fig.6, on peut apercevoir la préparation d’une tisane au sein d’un Hounzin. Sur les bords se trouve du sang et des plumes. Le dépôt de sang et de plumes sert à contenter les divinités qui n’ont pas pu se sustenter à l’intérieur de la céramique. Ce « dépôt de substitution », peut se retrouver sur l’encadrement des portes à l’entrée des temples vòdũn. C’est un moyen d’être certain que toutes les divinités présentent ont pu être nourris.

Fig.6 : Exemple de vòduzin - Préparation au sein d’un Hounzin (Abomey)
Fig.6 : Exemple de vòduzin - Préparation au sein d’un Hounzin (Abomey)

Analyses élémentaires

Le dépôt présent à l’intérieur a fait l’objet d’un prélèvement à l’aide d’une lame stérile. L’échantillon a été analysé par le laboratoire de toxicologie biologique de l’hôpital Lariboisière (Paris). Il a subi une mise en solution nitrique afin d’effectuer un dosage par ICP-OES  (Inductively Coupled Plasma Optical Emission Spectrometry) et ICP-MS (Inductively Coupled Plasma Mass Spectrometry), afin de détecter métallique et non métallique faiblement dosé. De ces dosages, la présence de 29 éléments chimiques est détectables (Tabl.1, Graph.1 à 3).

Tabl.1 : Résultats des dosages par screening semi-quantitatif, ICP-OES et ICP-MS (source : J.Poupon).
Tabl.1 : Résultats des dosages par screening semi-quantitatif, ICP-OES et ICP-MS (source : J.Poupon).
Graph.1 : Résultat screening semi-quantitatif
Graph.1 : Résultat screening semi-quantitatif
Graph.2 : Résultat dosage ICP-OES
Graph.2 : Résultat dosage ICP-OES
Graph.3 : Résultats dosage par ICP-MS
Graph.3 : Résultats dosage par ICP-MS

Certains éléments peuvent être toxiques pour l’Homme tel que l’arsenic, le plomb ou le baryum [5]. Néanmoins, la faible quantité présente au sein ne représente pas un réel danger sanitaire. De plus, la consommation humaine des libations restes minime et occasionnel, ce qui n’est pas suffisant pour nuire à la santé.

Pour ce qui est de la signature élémentaire, le taux de fer, de calcium et d’aluminium peuvent s’expliquer par la quantité importante de sang animal au sein de la préparation. 

Conclusion

Un élément, qu’il soit matériel ou immatériel, est sacré que par le sens où la perception qu’on en a. Dans la majorité des cas, ces contenant en matériel périssable tend à être à « usage unique » pour plusieurs raisons ; la première est la fragilité du contenant, généralement laissé sur un autel ou près d’une divinité jusqu’à ce que son rôle soit accompli, mais soumis aux aléas climatiques. La deuxième raison réside dans le contenu et non le contenant. Par exemple, des libations peuvent être déposées pour une divinité spécifique (précisons que chaque divinité à ses préférences, mais également des interdits. Donner à une divinité de l’huile rouge alors qu’elle préfère la blanche exposerait le faussaire à la colère divine). Si la céramique devait être réutilisée pour une autre, cela sous-entendrait que le contenant souillé devrait faire l’objet d’un nettoyage poussé. Néanmoins, comme nous avons pu le voir, le hounzin peut être utilisé plusieurs fois, mais doit subir un cycle purificatoire poussé entre chaque cérémonie.

Le hounzin intervient aux prémices de la cérémonie. Il renferme les différentes offrandes alimentaires pour qu’elles soient correctement préparées, mais pas seulement. La céramique a subi en amont une purification par le sang. Le sang est réputé donner de la force et de la vie. Préparer des libations dans ce genre de céramique, c’est transmettre la force, mais également la puissance du contenant au contenu et accroître ainsi son effet. 

En ce qui concerne les analyses élémentaires, les résultats corroborent ce que les enquêtes orales nous ont apprises. 

Pour ce qui est des destinataires des offrandes, nous avons pu voir qu’il était en premier lieu destiné à un roi défunt, dans ce cas le roi Glèlè. Des libations sont par ailleurs faites aux principales divinités représentant la terre (Sakpata), l’air, le feu (Heviosso), l’eau (Nessouhè) mais également de la force vitale de l’Homme (Dan et Legba). Ces offrandes visent donc en priorité à garantir une cohésion et une bonne harmonie entre les éléments de la nature et donc de la société entière qui s’appuie sur des croyances animistes et naturalistes.

Il est possible de voir, au travers l’étude de ce cycle religieux initialement réservé à un cercle restreint, l’importance de la personnalité royale qui est élevée au même rang que les divinités vaudou, mais qui surtout agit continuellement sur le bien-être et la bonne marche de la société notamment aboméenne, bien que la royauté ne soit plus en fonction.

Bibliographie

[1] Gallay A. Traditions céramiques et ethnies dans le delta intérieur du Niger (Mali) : approche ethnoarchéologique. Bulletin du Centre Genevois d’anthropologie : 1992 ; Vol.3 : 23-46.

[2] Gallay A., Huysecom E. Ethnoarchéologie africaine : un programme d’étude de la céramique récente du Delta intérieur du Niger (Mali, Afrique de l’Ouest). Genève : Université de Genève, 1989.

[3] Gosselain O. Poteries du Cameroun méridional. Styles techniques et rapports à l’identité. CNRS édition, Paris, 2002. 254 p.

[4] Livingston Smith A. Reconstitution de la chaîne opératoire de la poterie », In Les nouvelles de l'archéologie : 119 ; 2010 : 9-12 p.

[5] Bourdin V., Delbey T., Lund Rasmussen K. et Charlier P. Do you dig your grave with your teeth? Potential interest of the elementary analysis of ancient ceramics regarding public health (Pre-Columbian era, Ecudaor». Ethics, Medecine and Public Health; 23; 2022. (DOI:10.1016/j.jemep.2022.100794).

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